Le récit "uchronique" qui va suivre est ici pour illustrer le module carrière élaboré pour agrémenter le pack que je vous propose depuis l'été 2017. Une manière de se faire une idée de ce qu'on peut trouver dans les différents mods publiés par de nombreux créateurs depuis près de 15 ans.
Sur la page "DÉCOUVRIR GPL - 4 - UN MODULE CARRIÈRE" (lien ci-contre) vous trouverez les éléments techniques pour modifier de manière claire et réversible votre installation GPL, qu'elle soit basée sur mon pack ou non. Un module carrière que vous pourrez utiliser tel quel ou modifier à votre sauce.
Si certains éléments historiques seront présents, il y aura aussi, bien sûr, bon nombre d'éléments imaginaires afin d'agrémenter le récit que je vous propose. Des incongruités ou des anachronismes, il y en aura sûrement, tant pis pour les puristes, mais il n'est pas question, ici, de faire œuvre d'historien. L'idée est seulement d'illustrer deux décennies de courses auto, d'évoquer cette époque au mieux pour vous donner envie, qui sait, de la revisiter vous aussi, volant en main.
Dans les récits les * préciseront des infos concernant GPL. Les vidéos seront placées avant les récits pour que ceux qui veulent voir la course (ou une partie) ne soient pas frustrés de tout savoir à l'avance.
R4E
PROLOGUE
Remiremont, le 1er juin 2018.
Je m'appelle, Alain Therrieuz, je suis né le 6 février 1932. Quand j'étais jeune je faisais des courses automobiles. Récemment, un journaliste, m'a contacté pour évoquer cet aspect là de mon passé. Il veut faire, semble-t-il, un livre sur le sport automobile de l'après-guerre. Un de plus me suis-je dis, mais j'ai accepté de le recevoir au moment qui lui conviendra. Je n'ai plus tant de distractions et j'ai encore à peu près toute ma tête, alors pourquoi pas...
A l'époque un autre plumitif, de l'entourage de mon père, avait entrepris, dans une des feuilles de choux locale, de relater, lui-aussi, la vie du sport de l'intérieur. Mon jeune âge faisait de moi la proie rêvée pour servir de cobaye à cet ambitieux qui voulait se faire mousser, j'imagine, en extrayant de moi quelques confidences qu'il n'aurait probablement pas pu obtenir en se contentant d'arpenter les contre-allées des paddocks. Hélas pour lui, j'étais peu bavard et, si je me souviens bien, notre collaboration n'était guère fructueuse malgré les encouragements paternels.
Au bout d'une année à peine, Le courrier des Vosges ou Le courrier d'Épinal, je ne m'en rappelle plus (il n'existe plus, je crois), avait cessé de publier quoi que ce soit me concernant. Parallèlement aux quelques articles qu'il avait pu pondre avec mon concours, le rédacteur en question avait poursuivi son activité habituelle au sein du journal, mais je n'avais rapidement plus eu de ses nouvelles, et, je dois bien dire que, finalement, je n'en étais pas fâché. Aussi sympathique que soit le projet, en théorie, j'avais d'autres chat à fouetter.
Cependant, j'avais vite eu l'habitude de prendre quelques notes, de temps en temps, pour fixer mes idées sur ma préparation ou garder une trace de mes impressions d'après course. En cherchant un peu j'ai retrouvé, dans des boites d'archives en métal, les cahiers sur lesquels j'avais griffonné quelques mots dans l'excitation du moment. Étonnamment, ces pages sont plutôt en bon état, il faut dire que j'étais bien placé pour disposer de papier de qualité. Que ce projet de livre se fasse ou pas, je vais partager avec vous ces souvenirs, ça m'aidera, au moins, à les trier, et revenir sur cette drôle d'époque où j'étais jeune et inconscient.
FÉVRIER 1950
Gerardmer, le 7 février 1950.
J'ai eu dix-huit ans hier. Grand jour, d'autant plus que j'ai eu confirmation de mon engagement pour six courses en Allemagne, d'ici trois mois. Il en était question depuis la fin de l'année dernière mais c'est mon père qui m'a annoncé la nouvelle. Il était au courant depuis quelques temps mais sait ménager ses effets. Mon frère est content pour moi mais je sens que ma mère, même si elle était, hier, dans l'ambiance de la fête, n'est pas dans son assiette ce matin.
Elle a tout fait pour que j'arrête le ski il y a quelques années mais, là, avec la voiture, elle sait bien que le danger est là aussi. Sa peur est presque palpable. Je lis dans ses yeux qu'elle est un peu triste. J'imagine que ce n'est pas ce qu'elle aurait voulu pour moi. Elle aurait souhaité que je rejoigne mon frère et mon père à la scierie ou la papeterie.
MARS 1950
Gerardmer, le 1er mars 1950.
Encore deux mois avant le grand départ. Sport au menu tous les jours pour être au top de ma forme le moment venu. Course à pied et un peu de culture physique. A part ça je passe le permis de conduire d'ici la fin du mois. Normalement ça devrait être une formalité. La semaine dernière j'ai eu les dates des courses. La première à Hockenheim le 14 mai.
Ma mère accuse le coup de me savoir parti pendant 5 mois mais je devrais avoir deux semaines de libre fin juillet alors ça la réconforte un peu. Mon père ne dis trop rien, comme d'habitude, il fait ce qu'il peut pour la rassurer mais je sens bien qu'il est fier. Un clin d'œil de temps en temps et son petit sourire pour me dire "vas-y champion".
AVRIL 1950
Paris, le 5 avril 1950.
Le temps passe vite mais l'excitation se mêle à l'appréhension. Mon permis est en poche, tout s'est bien passé, comme je l'espérais. J'ai aussi mon passeport, désormais. Je suis prêt pour l'Allemagne. Depuis quelques jours je suis à Paris, avec mon père. Il tenait à m'accompagner pour que tout se passe bien. Première rencontre avec Mr Amédée Gordini. Impressionné est le seul mot qui me vient. J'ai revu aussi son fils Aldo dont j'avais fait la connaissance l'an dernier. C'est lui qui va me chaperonner en Allemagne. On a passé deux jours à Monthléry. Ils voulaient voir ce que j'avais dans le ventre sur un vrai circuit après mes quelques courts essais de l'an dernier. Plusieurs tours du circuit de près de 10 kms sur la T15 qui va m'être confiée à Hockenheim.
Le circuit est particulièrement effrayant de par sa longueur mais la voiture semble bien m'aller. L'équipe de mécanos est sympa mais tous semblaient un peu moqueur à entendre mes impressions sur le circuit. D'après eux de la gnognotte par rapport à ce qui m'attend. Tout ça n'est pas pour me rassurer. Enfin, le principal c'est qu'ils semblent satisfaits de mes temps, compte tenu de ma méconnaissance du circuit. Souvent je n'ai pas froid aux yeux mais, là, je dois bien reconnaître que je n'en menais pas large.
Avant de repartir (demain), je suis allé au cinéma ce soir avec mon père pour voir "La corde", d'Alfred Hitchcock. Quelle histoire abjecte mais quel film ! J'avais vu "Les enchaînés", avant qu'on ne revienne des Etats-Unis, mais là c'est la première fois que je voyais un film en couleur. Quel changement ! Dans le train du retour mon père va sûrement encore me parler des films muets. J'ai toujours du mal à y croire. Ça me parait loin et pourtant c'était pour lui à l'âge que j'ai aujourd'hui, grosso modo.
Remiremont, le 3 juin 2018.
Dans ce "journal" de 1950 je mentionne les USA et, comme je ne peux pas tout publier (trop de longueurs), j'ai constaté que tout n'était pas centré (à l'opposé de mes souvenirs) sur mes courses automobiles, je dois préciser cet épisode américain pour que vous compreniez le contexte dans lequel j'évoluais à l'époque.
Dans mes notes je relatais certains récits de mon frère, sur les années d'avant-guerre, dont je n'ai que de vagues souvenirs. En fait je me souviens surtout des dernières années et du ski où nous allions "entre hommes", laissant ma mère angoissée par ce qui pouvait nous arriver. Nous étions donc partis aux États-Unis, fin 1938, tous les quatre, plus mes grand-parents maternels (ma mère était fille unique), des industriels qui œuvraient dans les machines-outils. Dès 1936, mon père, qui côtoyait, entre autres, des politiques, sentait que la guerre était inévitable. En 37 et 38 il avait organisé ses affaires avec un homme de confiance pour que tout continue autant que possible mais aussi que l'activité s'arrête aussi proprement que possible, si on devait en arriver là. C'est ce qui s'était passé.
De grand défenseur de son pays il était devenu pacifiste véhément. Il considérait que les conflits étaient mauvais pour les affaires, sauf pour les marchands d'armes, mais surtout, la famille avait payé cher le tribut laissé à la première guerre mondiale. Son père était mort parmi les premiers, fin 1914, et lui-même s'était engagé en 17 pour être blessé l'année d'après. Il en avait gardé un bras gauche fragile et surtout deux doigts qui ne se pliaient plus. Il ne pouvait conduire que sur de courts trajets, ce qui l'avait sûrement motivé à me pousser vers la course auto. Il avait beaucoup travaillé, tout jeune, avec son oncle, pour remettre à flot "l'empire" familial et refusait de tout perdre à nouveau. Il voulait aussi nous mettre à l'abri même si quitter le pays n'était pas un enchantement. Quitter c'était fuir mais aussi tout recommencer, ailleurs, sans savoir s'il y aurait un retour. Finalement on était revenu en 46 et son outil de travail, comme on dit aujourd'hui, avait moins souffert qu'en 14-18.
Fin 38, donc, on était parti vers Le Havre pour prendre le bateau jusqu'à New-York. Des grèves perturbaient l'utilisation du "Normandie" et c'est finalement à bord de "L'Île-de-France" qu'on avait embarqué. Malgré le luxe, mon frère n'avait pas aimé ces 5 jours en mer. Moi je ne me souviens pas de tout ça, probablement couvé dans les jupes de ma mère.
Gerardmer, le 18 avril 1950.
A peine plus de dix jours avant mon départ en Allemagne. Je bouillonne. J'ai reçu par courrier le tracé des circuits. Je ne cesse de les regarder, suivre les lignes du doigt comme si je voulais user le papier. A part Leipzig, une espèce de Monaco carré, le reste me donne des sueurs froides : les circuits sont d'une longueur ! C'est surtout Schottenring qui m'obsède, avec ses 16 kms torturés. Et c'est sans parler du Nürburgring, plus de 20 kms. Une vraie folie !
Gerardmer, le 29 avril 1950.
Derniers préparatifs avant le départ. Ma mère me harcèle pour s'assurer que j'ai toutes mes affaires. Elle est encore plus nerveuse que moi. Ça ne m'aide pas mais je sais qu'elle n'y peut rien. Couper le cordon est encore plus difficile pour elle que pour moi.
MAI 1950
Metz, le 1er mai 1950.
Épinal, Nancy, Metz, c'est dans la Panhard Dyna X de ma mère, qui m'a laissé le volant, que nous avons rejoins l'hôtel où je vais passer la nuit avec l'équipe Gordini. Sympa cette petite voiture, entre la traction, la 2cv et la Coccinelle. Demain direction l'Allemagne. Je passe sur les adieux...
Francfort, le 3 mai 1950.
Nous voilà sur place après un trajet pas trop long, en convoi : un camion porte-voitures et de ces nouveaux mini-bus qui viennent de sortir, le combi Volkswagen. Hier soir tout le monde était content d'être arrivé et avait hâte de passer aux choses sérieuses. Nous sommes dans une grande maison, louée jusqu'en septembre, en banlieue de Francfort. Des grandes chambres sont transformées en dortoir. Une pour les pilotes, d'autres pour les mécanos, une pour Aldo Gordini, qui lui sert aussi de bureau. Un grand hangar est disponible pour mettre le camion et les voitures, une fosse pourra permettre de faire de la mécanique.
J'ai fait la connaissance de mes coéquipiers, Richard Weiser et Willy Arnolds. Ils ont l'air sympa. Comme je parle pas trop mal allemand, ça aide à briser la glace, surtout que les cicatrices de la guerre sont encore fraîches. Il faut dire que cet assemblage franco-allemand à de quoi interloquer. Ça ricane en italien autour d'Aldo Gordini et d'un baby-foot, avec certains mécanos. Ça parle fort en allemand ou en français aussi, deux mécanos sont parisiens, bref, c'est un peu l'auberge espagnole. Parties de billard ou tournoi de ping-pong, aujourd'hui c'était journée détente et prise de contact.
Hockenheim, le 11 mai 1950.
Hier soir nous sommes arrivés sur le théâtre des opérations. On campe aux abords du circuit. La tension est montée d'un cran au sein de l'équipe, on sent que les choses sérieuses commencent. Je dors mal depuis quelques jours. Le tracé du circuit est simple à mémoriser mais ma première séance d'essais libres, aujourd'hui, à débuté difficilement. J'avais demandé aux mécanos un angle de braquage maximum* mais c'était trop. Au bout de deux minutes je suis dans l'herbe à Sachs Kurve mais je repars.
Dans le premier tour lancé, je me sors à Ostkurve et heurte en douceur des panneaux publicitaires. Heureusement la voiture n'a rien mais après nombre de drapeaux bleus et un troisième tour lancé il est temps de retourner aux stands. Je fais rectifier l'angle de braquage**. Tout de suite ça va mieux et je fais un 2'21"4 après quatre nouveaux tours lancés. Je suis quand même à la traîne avec le dernier temps de la séance, les deux autres Gordini, juste devant moi, mais en 2'19"4 pour Richard Weiser et 2'19"8 pour Willy Arnolds.
*(5:1).**(10:1).
Hockenheim, le 12 mai 1950.
Une nouvelle séance m'a permit de m'améliorer avec un 2'20"7 mais je reste quand même en retrait vis à vis de mes coéquipiers.
Hockenheim, le 13 mai 1950.
Aujourd'hui avait lieu à Silverstone les débuts d'un tout nouveau championnat du monde, la Formule 1. Quatre Alfa-Roméo sur la première ligne de départ et à l'arrivée, trois d'entre elles sur le podium, l'argentin Fangio ayant abandonné. En ce qui nous concerne c'était la séance d'essais officiels et je me suis plutôt bien débrouillé. J'ai fais un 2'20"4, Richard Weiser confirmant son 2'19"4 mais surtout je fais jeu égal avec Willy Arnolds. Demain, la course, je vais encore mal dormir.
Sur la grille de départ, ma première course à Hockenheim.
Francfort, le 15 mai 1950.
Nous voilà de retour à la base. Enfin, ma première course est passée. Hier l'épreuve s'est plutôt bien déroulée malgré un départ plutôt raté en ce qui me concerne. Heureusement ça m'a sauvé car il y a eu un accrochage dès le premier virage entre une Maserati (Hermann Suttarp) et une Ferrari (Ferdi Lehder), à l'arrière du peloton. Suttarp s'est retrouvé au milieu de la piste, face aux dernières voitures du peloton. Richard Weiser, à légèrement touché la Maserati avec sa Gordini et, malheureusement, la voiture n'était plus en état de rouler. Trois abandons dès le premier tour, ça commençait mal.
J'ai pu me faufiler entre Suttarp, qui me faisait face, et Lehder, à ma droite, qui revenait du bas-côté. Après cet épisode j'ai pu vraiment me lancer dans la course mais sur un rythme un peu lent, au départ, par rapport à Arnolds qui à pourtant du lutter tout du long avec la Maserati de Friedrich Dilthey. Sur les derniers tours je tournais dans les mêmes temps mais termine finalement à une douzaine de secondes de Dilthey.
Aujourd'hui le débrief était mitigé. En gros, un bon point pour Arnolds qui a su devancer une Maserati mais des réserves pour Weiser qui doit faire plus attention au départ. Des encouragements pour moi, pour mon rythme en fin de course et ma bonne réaction face à l'accrochage mais une réactivité à améliorer à l'instant précis où la course démarre. Globalement on a compris qu'on ne pourrait que lutter, de temps en temps, avec une Connaught, une Maserati ou une Vanwall.
Francfort, le 22 mai 1950.
Ces derniers jours on a alterné entre repos et préparation de la prochaine course. Les mécanos s'affairent sur les voitures. On réfléchit sur les réglages, on s'imprègne du tracé à s'user les yeux sur nos feuilles. Tout le monde est anxieux. Le circuit étant ré-ouvert depuis l'an dernier seulement, on part tous vers l'inconnu. Seul Helmut Polensky aurait roulé dessus en août dernier mais, bon, on n'aura pas l'occasion de lui demander ses impressions...
Francfort, le 23 mai 1950.
Un deuxième camion est arrivé avec deux voitures supplémentaires, au cas ou on ait de la casse avant la course. On s'y attendait pas, inutile de dire que ça m'a un peu refroidi. Déjà que le Nürburgring m'apparaît comme l'Himalaya.
Francfort, le 24 mai 1950.
Après une bonne semaine à Francfort nous voilà prêts à repartir. Plus personne ne rigole. Je me sens tendu, mais pas comme à Hockenheim où j'inaugurais quelque chose, non, là c'est plus viscéral. Comme si l'enjeu allait bien au-delà de celui d'une course.
Francfort, le 25 mai 1950.
Nous voilà dans les combis, un camion devant, un derrière, en route vers Müllenbach. On a presque 200 kms de route, du coup j'ai le temps d'écrire un peu.
Müllenbach, le 26 mai 1950.
Arrivés au camping hier, aujourd'hui c'est repos avant le grand jour, découverte du Nürburgring.
Müllenbach, le 27 mai 1950.
Ce matin, "randonnée" en vélo autour du circuit. Willy Arnolds, Richard Weiser, Aldo Gordini, trois mécanos et moi-même. Tous avec nos stylos (belle invention) et nos petites feuilles. Le tracé du circuit et une vue en coupe avec les dénivelés. Entre 9h et midi on a fait un tour du circuit, les neuf équipes ayant un moment dans la semaine pour en faire autant.
On s'est arrêté fréquemment, histoire d'échanger nos avis sur les trajectoires, rapports de boîte, tours/minutes... Trois heures pour les vingt kilomètres, il fallait bien ça. Pflanzgarten m'a particulièrement impressionné, avec deux courbes à gauche suivies de descentes courtes mais très prononcées. Difficile de penser qu'on va rouler là en essayant de passer au plus vite. "Tout pour se détruire" dirait ma mère.
Remiremont, le 18 juin 2018.
Mon père, qui écrivait avec des stylos-plumes Waterman, était cependant toujours à l'affût des nouveautés. Il avait été parmi les premiers à s'acheter des stylographes à bille Reynold’s quand nous étions à New-York, en 1945. Par la suite il avait connu Marcel Bich et Édouard Buffard et avait été sollicité pour tester des stylos à bille sur tous types de papier. On avait donc tout un lot de prototypes de ces stylos qui sont sortis en fin d'année ou en 1951, je ne sais plus trop. Bref, en complément des crayons qu'on pouvait avoir, c'était bien pratique pour prendre des notes sur les circuits.
Pour ce qui est du circuit, si mes souvenirs sont flous et ne reviennent qu'à la lecture de mes notes de l'époque, j'ai par contre bien en tête, en y repensant aujourd'hui, cette première vision des deux virages que j'évoquais alors. Plus que toute autre partie du circuit c'est ces deux descentes qui me reviennent en tête quand je pense au Ring. Des sections totalement inadaptées à de la course auto en réalité, comme certaines parties de Watkins Glen. Je parle du Glen abandonné après l'accident de 1952, évidemment.
Müllenbach, le 28 mai 1950.
Aujourd'hui repos, après la séance d'hier, forte en émotion. Personne ne bronche, tout le monde passe du temps le nez dans ses notes. Aldo Gordini court avec nous autour du camping, pour, un temps, ne plus penser à la course. Autant que faire se peut, bien sûr, puisque nous sommes, littéralement, à l'intérieur du circuit. Il joue les grand-frères, il fait tout pour nous rassurer et, surtout, nous intime la prudence, autant que possible. "Va pas faire comme Wimille" m'a-t-il dit plusieurs fois, ces derniers jours. La mort de Jean-Pierre Wimille, l'an dernier, l'a marqué visiblement même s'il essaie d'en parler de manière détachée.
Müllenbach, le 30 mai 1950.
Hier nous avons enfin pris la piste mais je n'ai pas pu écrire dans la foulée, j'étais trop sur les nerfs. C'est une chose d'aller voir à quoi ressemble le circuit, assis sur un vélo, une autre de monter dans la voiture et de s'y confronter réellement.
On participait à une première séance d'essais libres où toutes les équipes étaient conviées, égayées de-ci de-là sur le circuit. Après un premier tour de piste en solitaire bouclé en près de 13 minutes, je suis revenu, sur la fin, sur un petit groupe de cinq ou six voitures mais, une fois le premier tour lancé entamé, j'ai vite perdu le contact avec les pilotes qui ont commencé vraiment à montrer ce que les voitures et eux-mêmes avaient dans le ventre. J'ai commencé par un tour en 10'43 puis un second en 10'23. Au bout de 3/4 d'heures en piste j'ai arrêté, après un 3è tour lancé, épuisé, autant physiquement que nerveusement.
Si je n'étais pas trop loin de mes coéquipiers, ils ont fait, eux, un 4è tour qui me laisse finalement plutôt loin puisqu'ils flirtent, l'un comme l'autre, avec les 10 minutes tout rond. Même Dilthey, en Maserati, me devance aussi de près de 10 secondes. J'espère que je vais pouvoir m'améliorer mais les freins, ici aussi, ont tendance à s'évanouir vite et j'ai failli me faire piéger dans mon premier tour lancé. A basse vitesse, à Wehrseifen, dans une courbe à gauche, j'ai heurté un muret à ma droite et, heureusement, les pneus n'ont pas éclaté. Faire le fou ici ce n'est pas la même chose qu'à Hockenheim et, à mon grand soulagement, la voiture n'a rien.
Une page d'un carnet que j'avais du récupérer en fin de saison.
Remiremont, le 19 juin 2018.
Dans mes archives de cette année-là je n'ai retrouvé que la vue en coupe du circuit, à voir plus haut, mais un document plus récent (ci-dessous), équivalent aux deux éléments dont on disposait à l'époque, permet de se faire une idée plus précise du tracé.
JUIN 1950
Müllenbach, le 3 juin 1950.
Avec les mécanos j'ai réfléchi à retravailler ma boîte de vitesse*. J'étais trop haut dans les tours en fond de 4 et, surtout, trop lent en vitesse maximale par rapport à mes coéquipiers. Après plusieurs essais il me semble que j'ai trouvé une solution satisfaisante. Le moteur monte à 6200 tours au lieu de 6400 auparavant.
*(de 21/35 et 9/36, 13/38, 16/38, 21/40 à 18/28 et 9/44, 10/34, 16/42, 21/41).
Müllenbach, le 7 juin 1950.
Hier c'était la 2è séance d'essais libres. La voiture va bien mais je n'ai constaté aucun gain dans la ligne droite vers Tiergarten. Je pense que je ne sors pas comme il faudrait à Galgenkopf. Toujours est-il que je stagne en 10'18. Weiser aussi n'était pas bien, comme moi il avait trop chaud, mais il fait quand même un 10'02. Arnolds, lui, s'est envolé avec deux tours en 9'55/9'56.
J'ai encore tapé à Wehrseifen, dans mon premier tour lancé, mais, heureusement, encore une fois sans dégâts. Les pneus sont décidément bien solides mais je n'en dirais pas autant des freins, hélas, qui continuent à m'inquiéter rapidement. Vivement dimanche que cette course soit passée.
En poursuite, lors de ma 2è course au Nürburgring.
Rudingshain, le 15 juin 1950.
Je n'ai pas souhaité écrire ces derniers jours, j'ai préféré laisser reposer un peu mon bras. Rien de grave mais les essais au Nürburgring ne se sont pas très bien passés. Le samedi, dès mon tour de lancement, j'ai fini par taper assez, toujours à Wehrseifen, pour casser ma voiture. Contre le même muret. Les deux roues, côté droit, ont été arrachées et, au passage, j'ai été légèrement touché au bras droit et à l'épaule. Heureusement, je n'ai rien de cassé, quelques ecchymoses légères et une douleur, somme toute, supportable.
Après les essais, le camion est allé récupérer ma voiture mais elle était difficilement réparable avant la course. De toute façon Monsieur Gordini ne souhaitait pas que je roule le dimanche même à bord d'une des deux voitures de remplacement. Finalement j'ai pu le convaincre, arguant que je n'étais pas là pour me décourager à la première difficulté. Il m'a confié que son père avait promis au mien que ma sécurité serait prioritaire. Promesse bien hasardeuse pour ce genre d'activité. Boîte réglée dans la soirée, j'ai finalement pu m'aligner pour la course sans avoir de chronos à faire valoir. Même chose pour Friedrich Dilthey en Maserati mais je n'ai pas su ce qu'il en était pour lui.
Toujours est-il qu'on était côte à côte sur la grille de départ. Arnolds et Weiser étaient juste devant nous, après de beaux essais, avec des chronos en 9'53 pour tous deux. Bien mais insuffisant pour devancer Ferdi Lehder (Ferrari 625) et Hellmut Deutz (Maserati) qui avaient fait deux secondes de moins pour boucler leur meilleur tour. Au départ je ne m'endors pas sur le tombé du drapeau comme à Hockenheim mais Dilthey me passe quand même sans coup férir. Après, dès le premier virage, ça se passe un peu comme le mois précédent : pas moins de 5 voitures rouges agglutinées les unes contre les autres dont une qui a perdu une roue. Je me faufile et vois aussi qu'une voiture grise est arrêtée sur le bas-côté. Derrière moi, finalement, seules les Maserati de Deutz et Suttarp sont restées sur le carreau, ainsi que Toni Kreuzer qui avait fait le 4è temps aux essais avec sa Mercedes.
Très vite j'ai le casque blanc de Lehder dans mes rétros et, s'il se contente de me suivre de près pendant cinq minutes, je suis obligé de laisser filer la Ferrari dès le premier Karussell. A vouloir essayer de le suivre (j'imagine) je tape légèrement entre Schwalbenschwanz et Galgenkopf (avant le 2è Karussell) mais comme c'est contre une clôture la voiture n'a rien et je peux continuer sans encombre. Dès lors je termine sans tenter le diable mais, sur la fin, les freins m'abandonnent un peu trop et je heurte à nouveau une clôture à ma gauche à Aremberg. Je finis à plus de 3 minutes du vainqueur alors que Weiser et Arnolds, 1'30 devant, sont classés 12 et 14è. Dans la même seconde qu'eux est intercalée la Ferrari de Willy Rentrop.
Après la course nous sommes rentrés tout de suite au camping avec une partie des mécanos, laissant le reste de la troupe sur place avec Aldo Gordini pour s'occuper des voitures et jeter un œil sur les courses de l'après-midi, motos et voitures se succédant toute la journée. Ils faisaient grise mine au retour malgré le bon résultat global de l'équipe. C'est là que nous avons appris le décès de Theodor Weißenberger au cours d'une course de la catégorie "Sports Cars". Bref la soirée n'était pas à la joie même si nous ne le connaissions pas. Difficile de se dire que l'un d'entre nous venait de mourir sur une piste sur laquelle nous avions roulé quelques heures auparavant.
Remiremont, le 5 juillet 2018.
Ce n'est que récemment que j'ai su qui était Theodor Weißenberger. Quel curieux parcours : avoir survécu à des centaines de combats aériens pour finir à Metzgesfeld, après seulement 5 départs, dans une course automobile de seconde zone. De la même manière j'ai redécouvert l'engouement pour les courses de cette époque. On voyait bien qu'à certains endroits c'était noir de monde mais je n'aurais jamais pensé, alors, qu'il pouvait y avoir ce jour-là environ 200 000 personnes pour voir près de 200 pilotes risquer leurs vies. Le goût du sang peut-être...
Rudingshain, le 16 juin 1950.
Après un bref crochet par Francfort nous voilà donc quasiment sur le circuit de Schottenring, à quelques encablures de la zone de départ/arrivée. Aldo Gordini, lui, à bifurqué vers Paris pour y rejoindre son père. En effet le 25 il sera aux 24H du Mans, en équipe avec André Simon, au volant d'une des six voitures de l'écurie.
A suivre...
Crédit illustrations : à leurs auteurs respectifs.
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